mercredi 10 mars 2010

RODEO URBAIN !

Abobo Gare, Jeudi 14 janvier 2010, 21 h30. Après un bond en avant qui m’aurait octroyé la médaille d’or aux Jeux Olympiques, sans demander mon reste, j’ai enchaîné avec un sprint emprunté à Bolt. Un Gbaka venait de me frôler après d’étranges zigzags. Plus effarouché qu’essoufflé, je réalisai que cet engin déchaîné ouvrait un cortège métallique composé d’autres Gbakas, taxis, « Woro-Woro » et autres voitures. Les passagers étaient assis partout, sauf dans les véhicules. Semblable à une chorale bacchanale, nos chers amis hurlaient tout aussi fort que les klaxons des véhicules qui les transportaient (ou qu’ils transportaient !)
C’était la fin du monde !
Eh non, c’est pas la peine de dramatiser! Je venais juste d’assister à mon premier cortège nuptial à Abobo. Complètement décontenancé de me rendre compte que je ne savais pas tout de cette commune, j’ai réalisé plus tard que j’avais été le seul à être surpris par cette situation. Tout le monde sait que les jeudis soir sont comme ça à Abobo !
Le jeudi est un jour déterminant dans le mariage malinké. On aura le temps d’y revenir. Il faut seulement retenir que c’est en fin de journée ce jour là que le marié reçoit son épouse que sa famille et ses amis se doivent d’accompagner jusqu’à son domicile conjugal. Tout ceci se fait bien entendu dans la liesse et l’allégresse générale.
Lorsqu’ un chauffeur, mécanicien, « syndicat » (gérant de gare de chargement) ou apprenti se marie, c’est toute la communauté roulante qui se met en branle pour soutenir le frère de sang, le « bramôgô ». C’est l’occasion donc de se lâcher, de s’exprimer dans ce qu’on sait faire le mieux. Les chauffeurs au volant et les apprentis aux portières pour une démonstration de ce qu’on appelle ici le « PLAISIR ». Slaloms, tours et demi-tours à 180 ou 360°, passagers accrochés, hurlant et frappant la carrosserie de toute leur âme pour annoncer que « la Gomi du Vié Môgô est callée !» (La femme du grand frère est arrivée !)
Les profanes en expression culturelle vous diront que ce sont des drogués, sauvages et impolis, doublés d’une irresponsabilité meurtrièrement suicidaire. Souriez et ne répondez pas. Vous ne réussirez pas à les convaincre du contraire. Pensez juste aux fameux Cow-boys du Texas. A Abobo, les chevaux ont juste été remplacés par des véhicules. Mais le Rodéo reste le même, pur, libre et intense. C’est l’expression d’une classe d’individus appartenant à un milieu où on gagne sa place à l’œuvre, derrière le volant ou sur la selle.
Si vous trouvez toujours que c’est un comportement inadmissible, souvenez vous de l’arrêt de Alain, notre gardien de But à la CAN 92 au Sénégal et dite moi honnêtement si vous être resté calme, « civilisé » dans votre fauteuil. Non, vous avez certainement couru (sans vos chaussures !) renversé tout sur votre passage, pour échouer dans les bras d’un badaud à vous n’auriez jamais dit bonjour. Vous avez juste exprimé (comme les chauffeurs !) votre personnalité réelle, trop longtemps enfermée dans une ménagerie de rites sociaux de bienséance par soumission à une conventionnelle pression à la conformité.

Ba Coulibaly

1 commentaire:

  1. merci BA pour cet article qui a le mérite de fustiger le comportement ("plaisir")de nos frères et en même temps d'essayer de faire comprendre (humainement) ces agissements qui ne sont rien d'autres que l'expression d'un sentiment (la joie d'un mariage). la comparaison avec la joie ressentie après l'arrêt d'Alain m'a bcp plu. cependant, il faut admettre tout de même que le "plaisir" dans sa pratique (lieux, heure,acteurs) est a proscrire en tout état de cause.
    Golden!

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